Économique
Retour09 septembre 2024
Jean-Philippe Thibault - jpthibault@medialo.ca
Gaspé rompt les liens avec le promoteur des 144 logements
GASPÉ
©archives - Gaspésie Nouvelles
En septembre 2021, le promoteur Les logements CVP annonçait publiquement ses intentions de développer le Domaine de la Baie, un complexe qui aurait compris quatre différentes unités d’habitation de 36 logements, sur trois étages.
La lune de miel est terminée entre la Ville de Gaspé et le promoteur qui voulait implanter 144 logements sur le terrain adjacent au supermarché IGA.
Lors de la plus récente séance du conseil municipal mardi, le maire Daniel Côté a exprimé une impatience manifeste en raison des délais qui s’allongent, sans voir de nouvelles unités d’habitation lever de terre. « On a été compréhensifs, mais l’élastique a été étiré au bout. »
Quelques jours plus tard, en entrevue avec le Gaspésie Nouvelles, le premier magistrat allait plus loin en affirmant que le lien de confiance n’y était plus, et que le conseil municipal passera visiblement à un autre appel. « Il n’y aura plus de rencontres. On a mandaté nos procureurs et c’est terminé. Il reste un dernier avis légal à obtenir et on va l’avoir d’ici le 16 septembre [date de la prochaine séance régulière du conseil municipal] pour prendre la décision finale. On trouvera quelqu’un d’autre pour développer ce terrain-là. »
En rappel
En septembre 2021, le promoteur Les logements CVP annonçait publiquement ses intentions de développer le Domaine de la Baie, un complexe qui aurait compris quatre différentes unités d’habitation de 36 logements, sur trois étages. L’investissement total était évalué à 25 millions de dollars.
Le prix de vente du terrain – qui appartenait à la Ville de Gaspé – avait été fixé à 566 000$ par une firme indépendante. Une entente a été conclue entre les deux parties pour une vente à 300 000$. La balance de 266 000$ devait être remise au promoteur (cautionnement d’exécution) si les échéanciers étaient respectés. La première livraison de logements était prévue en 2023. Un bloc de 36 autres logements devait ensuite être livré chaque année, jusqu’en 2026.
Petit pépin par contre puisque ledit terrain avait été cédé en 1978 par ce qui est aujourd’hui le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. Une vieille clause datant de cette époque stipulait que la Ville de Gaspé devait consulter le ministère avant de le vendre. Seuls certains usages étaient autorisés, sans quoi des pénalités financières étaient applicables. La construction d’unités d’habitation n’en faisait pas partie. Incidemment, des compensations financières ont dû être versées à Québec, soit 381 000$. L’affaire avait été médiatisée. Les promoteurs expliquent de leur côté que plusieurs facteurs expliquent les retards, dont celui-là.
©Jean-Philippe Thibault - Gaspésie Nouvelles
Photo de septembre 2021 avec le promoteur Logements CVP, soit Christophe Poirier (parti depuis), Michel Collin et Allyson Cahill-Vibert. Ils sont accompagnés du conseiller municipal Ghislain Smith, du maire Daniel Côté et de l'ex-conseillère Aline Perry.
« Cette vieille clause-là nous a retardés d’un an, explique d’emblée la porte-parole des Logements CVP, Allyson Cahill-Vibert. Ensuite il y a eu la pandémie, puis le problème de station de pompage. Il fallait savoir où se connecter pour bâtir nos plans alors on a dû attendre. On nous a ensuite imposé d’aider pour l’implantation de la garderie. Il a fallu négocier avec tout le monde, monter des contrats et aller chez le notaire, ç’a été vraiment long et compliqué. »
Des arguments que rejette le maire Côté. « La station de pompage, on s’est engagé à la faire et on en processus […] Pour la vieille clause avec le ministère, en vrai ça ne change rien. C’était entre nous et eux. Le promoteur est un tiers qui pouvait quand même continuer d’avancer en attendant. »
Perte de confiance; manque de communication
Le promoteur déplore aussi que les canaux de communication soient rompus, ainsi que des clauses trop contraignantes à leur contrat, qui les empêche d’avancer. Logements CVP fait référence à une clause résolutoire qui permet à la Ville de Gaspé de récupérer le terrain si les conditions qui étaient rattachées à sa vente n’étaient pas respectées.
« Ils ont des mesures trop restrictives qui nuisent à leur propre objectif de créer du logement, analyse Allyson Cahill-Vibert. On ne pourra jamais se faire financer à cause de ça. Aux yeux de la banque, notre projet ne vaut rien parce qu’on peut se faire reprendre le terrain à tout moment. On ne peut rien faire, on ne peut pas avancer. On est bloqués de partout […] Et ça fait plus de six mois que je demande une rencontre avec le conseil et ils n’en voient pas l’intérêt, sauf pour en donner une de 15 minutes à moins d’une semaine de préavis. »
©Jean-Philippe Thibault - Gaspésie Nouvelles
La porte-parole des Logements CVP, Allyson Cahill-Vibert.
Encore une fois, les deux parties ne sont pas au diapason. « Nous on fait nos suivis et on n’attend pas trois mois pour les faire. Tout est là par courriel », rétorque le maire sans trop s’avancer puisque le dossier risque de se rendre devant les tribunaux. « Nous on veut ravoir le terrain, c’est catégorique. »
Quant à la clause résolutoire qui semble faire achopper le projet, Gaspé n’a aucune intention de la lever. « On a une lettre annexée qui dit qu’on va user de tolérance pendant X nombre de temps, et qu’on n’a pas l’intention de reprendre le terrain s’ils fournissent des délais d’avancement de dossier. On leur demande de nous fournir des choses en échange de ne pas lever la clause. Si on la lève, on peut se retrouver avec un terrain vacant pendant encore 25 ans. Si on avait pu établir un climat de confiance, il y aurait une première fondation de levée qui permettrait d’avoir foi en l’avenir, mais présentement ce que le conseil me dit et insiste, c’est que la confiance n’est plus là. Le mariage ne lève pas. Ça fait trois ans qu’on est patients. On n’a toujours pas vu de plans et devis finaux. Chaque fois on a des promesses qui ne sont pas tenues. C’est toujours la faute de quelqu’un d’autre depuis le début : architectes, ingénieurs, partenaires, banquiers. Là, c’est rendu la Ville. C’est beau faire une chasse aux sorcières, mais moi ça me prend du logement. Ça fait des mois qu’on demande des échéanciers, mais on n’a pas de perspective de temps. On ne laissera pas ce terrain à fort potentiel dans le néant pendant trop longtemps. »
Aujourd’hui, les deux parties semblent irréconciliables. La porte-parole des Logements CVP n’entrevoit que deux options : que la Ville de Gaspé rachète le terrain ou bien qu’elle lève sa clause résolutoire pour aller de l’avant. Cette seconde option semble toutefois écartée.
Daniel Côté précise que deux autres promoteurs « très sérieux et capables de livrer assez rapidement » seraient intéressés par ce terrain. Plusieurs dizaines d’unités seraient envisagées, sans pouvoir indiquer de nombre précis. « On a d’autres promoteurs qui ciblaient d’autres endroits – celui-ci étant déjà pris – alors on n’y pensait pas, mais on commence à penser à le remettre sur le marché. On va aller avec ceux capables de lever du logement. »
Pour leur part, Allyson Cahill-Vibert et son partenaire Michel Collin disent avoir englouti 1,8 million de dollars dans ce projet, sans compter les heures investies. Ils trouvent dommage d’en être arrivé à ce point. « On a tellement perdu de temps et d’argent. C’est incroyable l’énergie que ç’a pris. On aurait pu les construire à Lévis ces blocs-là, mais on voulait les faire chez nous. On n’avait pas besoin de ça; on ne recevra pas d’argent de ce projet-là avant 30 ans. C’était pour dynamiser la région. On avait un peu une idée de fou qu’on a mis sur papier pour aider, mais finalement on s’est plus mis dans le trouble que d’autre chose », conclut-elle.
Commentaires