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19 septembre 2023

Jean-Philippe Thibault - jpthibault@medialo.ca

Cueillir ses algues au Nouveau-Brunswick par peur de représailles

CAP-AUX-OS

Un Océan de saveurs

©Photo fournie par Un océan de saveurs - Jon Yu et Manuel Ano

Antoine Nicolas lors d’une plongée.

Depuis 2011, Antoine Nicolas avec son entreprise Un océan de saveurs démocratise les légumes de mer, une algue à la fois.

Chacune d’elle est récoltée manuellement, de manière quasi-artisanale. Les produits se sont au fil des ans retrouvés sur plusieurs grandes tables du Québec, que ce soit le Saint-Amour, le Toqué! ou le Clocher Penché pour n’en nommer que quelques-unes. Le travail de celui qui est biologiste de formation pique la curiosité. Au petit écran, il a fait des apparitions à Curieux Bégin, Deux hommes en or ou encore à Dans l’œil du dragon.

Antoine Nicolas a donc contribué à sa façon à développer ce marché de niche, en direct de la petite localité de Cap-aux-Os à Gaspé, près du parc national Forillon. Les algues sont transformées aux Pêcheries Gaspésiennes à Rivière-au-Renard. Une vingtaine d’entreprises d’ici travaillent avec ses algues, comme par exemple Seabiosis à Carleton-sur-Mer pour leur pesto. Un produit local, donc.

Sauf que non. Ce n’est plus local depuis 2021. Les algues sont maintenant entièrement prélevées au Nouveau-Brunswick, aux environs de l’île Grand Manan au sud de la province. Pourquoi? Pour la simple et bonne raison que le plongeur-entrepreneur a maintenant une peur bleue de cueillir au Québec où il a reçu il y a deux ans trois constats d’infraction de la part de Pêches et Océans Canada (MPO). « Chaque récolte peut m’envoyer en cour. J’en ai fait une au printemps pour un tournage et j’en faisais des cauchemars la nuit de peur de me faire envoyer en cour », laisse tomber un brin résigné Antoine Nicolas.

Infractions

 

Le 17 septembre 2021, l’une de ses récolteuses – également biologiste – a été contrôlée par un inspecteur, ce qui a résulté aux constats d’infraction. L’un d’eux pour avoir arraché le pied de l'algue, ce qui est interdit en vertu de la Loi sur les pêches. Il s’agit d’un accident inévitable, plaide Antoine Nicolas.

Ce dernier a dû faire produire un rapport d’expert pour faire lever l’accusation. Le document signé par Éric Tamigneaux, professeur-chercheur à l’École des pêches et de l’aquaculture du Québec, a conclu que le crampon de l’espèce alors récoltée (P. palmata) n’est pas suffisamment attaché au substrat, de sorte que ces frondes se détachent facilement et naturellement.

« Après examen de la littérature scientifique disponible, j’aboutis à la conclusion que l’obligation de couper l’algue au-dessus du crampon et de laisser le crampon intact sur le substrat n’est pour l’instant pas justifiée par les connaissances sur les mécanismes de renouvellement de l’espèce », peut-on lire dans son rapport, donnant ainsi raison à l’entrepreneur.

Antoine Nicolas dénonce vivement que sa marge de manœuvre ainsi que celle de ses employés est nulle. « C’est impossible à respecter. On a une marge d’erreur de 0% sur l’arrachage accidentel, alors que ça peut aller de 1% à 80% selon les espèces. Peu importe la récolte, il y en a toujours. On ne peut pas nous demander de faire mieux que ce que fait la nature. »

Antoine Nicolas

©Photo fournie par Un Océan de saveurs – Caroline Bolieu

Antoine Nicolas est biologiste de formation.

Une autre accusation a été portée pour ne pas avoir en main une copie papier de son permis de récolte. « La plongeuse n’avait que sa version numérique. En fait, on nous envoie seulement un lien numérique à la base. On nous sanctionne donc sur une version qu’on ne nous fournit pas. En 2023, on est dans le ridicule », ajoute Antoine Nicolas.

La cueilleuse d’algues a d’ailleurs claqué la porte ne désirant plus travailler avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Dans cette semaine de septembre 2021, Antoine Nicolas a perdu quatre de ses cinq cueilleurs. Ces derniers ne voulaient plus travailler avec le spectre de potentielles accusations. Malgré le retrait de l’accusation pour avoir arraché le pied de l'algue, la loi continue de s’appliquer et d’autres accusations du même genre pourraient être portées en exposant les cueilleurs à des constats d’infraction.

« On ne peut pas travailler dans ce contexte. Je suis obligé de travailler au Nouveau-Brunswick. Je suis plus stressé par l’idée de tomber sur agent du MPO en mer que d’aller à la recherche d’une personne disparue. La question suivante c’est : est-ce qu’on devra déménager au complet parce qu’on est plus capables d’opérer au Québec? »

Harmonisation

 

Les algues sont attachées au fond marin, qui est sous la juridiction du Québec, mais flottent dans l’eau salée, sous juridiction fédérale. Selon la lecture d’Antoine Nicolas, la réglementation appliquée par le MPO pourrait ultimement s’avérer ultra vires; au-delà de ses pouvoirs. L’homme déplore le manque d’uniformité et un certain flou juridique qui entoure son métier. « Le plus ridicule, c’est qu’au Nouveau-Brunswick, il n’y a aucun critère de récolte, de permis, de quota ou de règlementation tout court. On cueille des algues et on les fait sécher sur des roches. C’est deux poids, deux mesures. » Il interpelle donc autant le provincial que le fédéral pour arrimer la gestion algale.

Il cite aussi en exemple le parc naturel marin de l’Iroise, en France, qui autorise un arrachage mécanique de 20%. Au Québec, c’est plutôt 25%, en coupant à la main. « Ce 25% est déjà un principe de précaution acceptable. On est d’accord avec un plan de gestion, mais qu’on ne nous donne pas un permis qu’on ne peut pas utiliser. Il faut une réalité derrière. On veut savoir sur quoi les conditions de permis sont basées. »

Le biologiste évalue à 0,1% le volume de la ressource qu’il cueille dans son secteur qui s’étale du pied du phare de Cap-des-Rosiers jusqu’à Grande-Vallée au nord, plus un tronçon de 9 km à Cap-aux-Os. Antoine Nicolas déplore par aillers qu’un secteur lui a été amputé de Petit-Cap à L’Anse-au-Griffon alors qu’il était en arrêt de travail pour épuisement professionnel.

« Pendant cet arrêt, le MPO m’a coupé environ 15-20% de mon secteur de récolte sans mon consentement [...] C’est comme si le premier venu arrivait et demandait à un pêcheur de homard la moitié de ses cages. On n’a jamais été pris au sérieux de la part du MPO. Les conditions de permis ont été faits sans connaissance de la ressource il y a à peu près 20 ans et ça n’a pas bougé depuis. »

Ce dernier juge que le Pêches et Océans Canada asphyxie les entreprises d’ici et qu’il improvise en matière de réglementation de la cueillette des algues, ce qui met en péril la survie de son entreprise et brise l’élan de toute la filière algue au Québec. Aucun responsable du MPO n’avait pu se libérer deux jours après notre demande d’entrevue.

Un Océan de Saveurs est le seul producteur d'algues certifiées pêche durable et écoresponsable niveau Excellence par les pages vertes.

 

Commentaires

19 septembre 2023

Marty Fournier

Pourtant, le MPO est fédéral, donc le MPO est au Nouveau-Brunswick aussi. Pourquoi c'est différent au Québec pour opérer? Est-ce l'effet du MAPAQ?

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