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07 juillet 2023

Jean-Philippe Thibault - jpthibault@medialo.ca

L'industrie de la crevette dans l'eau chaude

RIVIÈRE-AU-RENARD

Crevette

©depositphotos.com

Dans la zone Sept-Îles, le taux de capture a chuté d’environ 50% en un an.

« Mauvaise. Très mauvaise. » Voilà la réponse de Patrice Élément, le directeur de l’Office des pêcheurs de crevette du Québec, lorsqu’interrogé sur la présente saison de pêche.

Si les quotas des pêcheurs québécois se retrouvent à 90% et plus dans les secteurs Sept-Îles et Anticosti (voir la carte), les taux de capture ont drastiquement diminué comparativement à l’an dernier. Dans la zone Sept-Îles, le taux de capture a chuté d’environ 50%. « C’est catastrophique. Et je ne vois pas de rétablissement dans cette zone-là. C’était la même chose dans Anticosti jusqu’il y a deux semaines, mais ça semble s’être replacé un peu », précise Patrice Élément.

Cette annus horribilis est un peu à l’image des saisons précédentes. Les abondances des mâles et des femelles présentent des tendances à la baisse depuis 2005, selon la plus récente évaluation des stocks de crevette nordique de Pêches et Océans Canada (MPO) faite l’an dernier pour l’année 2021.

« La situation est inquiétante parce que l’abondance est plus faible et on ne s’attend pas à une amélioration dans les prochaines années. Présentement ce que l’on mesure comme biomasse, ce sont les plus faibles abondances qu’on a observées depuis 1990 », note Hugo Bourdages, biologiste à l’évaluation des stocks au MPO. Même son de cloche à l’Office des pêcheurs, qui constate à chaque jour les difficultés de l’industrie.

« Le marché de la crevette n’a pas pris la même tangente que ceux du crabe des neiges et du homard. Nous les prix ont baissé et on fait face à une augmentation phénoménale de nos coûts d’opération parce qu’on est la flottille qui utilise le plus de carburant de tous l’Est du Canada », rappelle Patrice Élément.

Pour imager la situation, des crevettiers lancent souvent à la blague que leurs plus gros bateaux dépensent davantage en un seul voyage qu’un crabier dans toute leur saison. Mais chaque blague a un fond de vérité. La pêche au chalut est grandement énergivore. Et ce n’est qu’un seul élément de l’équation.

Sébaste et compagnie

 

Le réchauffement des eaux profondes, l’appauvrissement en oxygène dissous et l’augmentation de la prédation par les sébastes sont autant de facteurs importants contribuant au déclin de la crevette nordique. Et ces conditions ne devraient pas s’améliorer à court et moyen terme, selon le MPO et l’ensemble de l’industrie.

« Ça, tout le monde s’entend là-dessus, confirme Patrice Élément. Où on diverge c’est sur quel facteur est le plus important. Personnellement, je vois beaucoup la prédation par le sébaste. Si on compare l’effort de pêche avec la prédation par le sébaste, la pêche est rendue insignifiante. »

Crevette

©Image fournie par le MPO

Les zones 10 et 9 sont celles de Sept-Îles et d'Anticosti, d'où 90% des quotas québécois sont tirés.

Il faut dire que le sébaste atlantique et le sébaste acadien représentent dorénavant 82% de la biomasse du golfe Saint-Laurent, comparativement à 15% entre 1995 et 2012 (ce qui exclut cependant les espèces côtières comme le homard). À environ 25 cm, le sébaste passe d’un régime alimentaire de zooplancton à un mets plus savoureux : la crevette. « On ne serait pas surpris qu’ils mangent plus de crevettes que ce que les pêcheurs capturent. On a aucun problème avec ça, mais on ne peut leur imputer toute la diminution », précisait récemment Caroline Senay, une biologiste en évaluation de stocks à l’Institut Maurice-Lamontagne, dans les pages de GRAFFICI,

« On observe aussi un réchauffement des eaux depuis plus de 15 ans, au même moment où on observe le déclin de nos stocks de crevettes nordiques dans le golfe Saint-Laurent », précise Hugo Bourdages.

Dans tous les cas, une ouverture graduelle au sébaste au-delà de la pêche indicatrice actuelle est demandée depuis plusieurs années déjà, même si cette stratégie ne sera assurément pas une panacée à court terme. Le risque d’inonder le marché demeure une possibilité, alors que les transformateurs devront s’ajuster et que des débouchés intéressants devront être trouvés. Les crevettiers avec leur pêche à engin mobile sont les mieux placés pour s’adapter rapidement au sébaste.

« Si on met 30 000 tonnes d’un coup sec sur le marché, les prix que les transformateurs vont recevoir vont être extrêmement bas alors ce qu’ils vont pouvoir nous offrir, ça ne nous permettra pas de pouvoir aller à la pêche, analyse Patrice Élément. Depuis 2016 l’Association des capitaines propriétaires dit au MPO d’ouvrir ça graduellement avec 5 000, 6000 ou 8000 tonnes par année pour avoir suffisamment de volume pour développer des marchés, ouvrir un potentiel commercial et laissé le temps aux transformateurs de se rééquiper et trouver de la main-d’œuvre. Il faut que les usines soient prêtes à le faire. Aujourd’hui on leur dit au MPO d’ouvrir ça et ça presse! »

C’est carrément le tissu social de Rivière-au-Renard qui est en jeu présentement. -Patrice Élément

Vers un moratoire de la crevette?

 

À chaque fois qu’une diminution significative des abondances d’une espèce commerciale est évoquée, le spectre du mot « moratoire » se fait entendre. Avec raison alors que tous se rappellent les effets de celui de la pêche à la morue de 1993.

Est-ce qu’un moratoire partiel ou total pourrait être décrété prochainement pour les crevettiers? La chose est discutée en haut lieu, même s’il est encore trop tôt pour les pronostics. « C’est une situation préoccupante pour l’avenir de la pêche commerciale à la crevette, mais on ne peut pas se prononcer encore sur les répercussions l’an prochain. Les travaux scientifiques sont en cour », explique Antoine Rivierre, gestionnaire régional à l’aquaculture pour Pêches et Océans Canada.

 

Crevette

©Jean-Philippe Thibault - Gaspésie Nouvelles

Avec les emplois en usine, sur l’eau et dans le parc industriel de Rivière-au-Renard, ce sont environ 450 emplois qui sont reliés au monde de la crevette dans le Grand Gaspé.

Le prochain relevé scientifique – qui se fait à tous les deux ans – est prévu vers la fin août ou le début septembre. L’évaluation des stocks se fera lui en janvier, ou peut-être même avant vu l’état de la situation. « On aura un meilleur portrait à la fin du mois de septembre. On est en contact étroit avec les représentants des pêcheurs et ça fera partie des discussions. On veut prendre des décisions avec les données les plus récentes. Les pêcheurs nous disent que c’est difficile de trouver de la crevette et que le rendement n’est pas intéressant, Ce ne sont pas forcément des bonnes nouvelles. La situation n’est pas rose », ajoute Antoine Rivierre lors d’un entretien effectué le 30 juin dernier. Les quotas eux sont en baisse depuis 2010.

Sans être alarmiste, Patrice Élément lui est plus tranchant dans son analyse de la situation pour les prochaines années, voire pour 2024. « Est-ce qu’on va être capable de passer au travers la présente saison? Est-ce qu’on va encore être là l’an prochain? Ça vaut pour les pêcheurs, mais aussi pour les transformateurs. Là on est en mode survie. On espère encore que la biomasse de la crevette va se stabiliser, mais l’écosystème du golfe est instable et changeant. C’est quoi la solution? Ça dépend d’où la crevette s’en va. C’est fondamental à savoir pour le futur. C’est un dossier extrêmement important pour la communauté. »

Impact majeur

 

Entre 35 et 40 titulaires de permis de pêche à la crevette sont actifs au Québec, dont 25 à 30 dans le Grand Gaspé, principalement à Rivière-au-Renard. Avec les emplois en usine, sur l’eau et dans le parc industriel de Rivière-au-Renard, ce sont environ 450 emplois qui sont reliés au monde de la crevette.

« S’il n’y a pas cette pêche, il y a entre 70 et 80 emplois qui disparaissent dans le parc industriel de Rivière-au-Renard, pour une communauté de 4000 personnes. Mettez ça à l’échelle de Montréal et vous allez voir ce que ça veut dire. C’est carrément le tissu social de Rivière-au-Renard qui est en jeu présentement! », lance Patrice Élément.

« La crevette va devoir trouver un nouvel équilibre dans son nouvel environnement alors ce sont dans les prochaines années qu’on va voir les abondances se stabiliser. C’est un environnement non-favorable, mais elle peut s’adapter dans certaines limites », conclut Hugo Bourdages sur une note plus positive.

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