Société
Retour17 août 2022
Jean-Philippe Thibault - jpthibault@medialo.ca
Parce que la pénurie de logements ne prend pas de vacances
GASPÉ
©Photo gracieuseté du Comité Autonome pour l’Accessibilité au Logement Côte-de-Gaspé
Selon une étude publiée en 2021 par le CIRADD, ce sont 13,2 % des locataires en Gaspésie qui sont forcés de quitter leur logement l’été venu. La proportion est encore plus élevée dans La Côte-de-Gaspé, à 19%.
Entre les festivals et la plage, entre les vacances de la construction et le farniente de l’été, la crise du logement continue de sévir en Gaspésie. Pendant que certains profitent des attraits de la région, d’autres cherchent toujours désespérément un toit.
Selon une étude publiée en 2021 par le CIRADD – le centre de recherche en innovation sociale spécialisé en développement territorial durable, basé à Carleton-sur-Mer – ce sont 13,2 % des locataires en Gaspésie qui sont forcés de quitter leur logement en raison de la saisonnalité touristique. Autrement dit, près d’une personne sur sept. La proportion est encore plus élevée dans La Côte-de-Gaspé, à 19%, soit près d’une personne sur cinq.
Ce n’est donc pas un hasard si le Comité Autonome pour l’Accessibilité au Logement Côte-de-Gaspé a récemment tenu une manifestation sur cet enjeu à la halte routière du centre-ville de Gaspé. Plusieurs des 50 personnes alors réunies ont vécu ou vivent une situation reliée à la crise du logement. Elles ne veulent pas que cet enjeu soit occulté, surtout à l’approche des prochaines élections provinciales. « On voulait rendre plus visible cette question de l’itinérance cachée, de la crise du logement, de l’inflation, de la surchauffe immobilière et des problèmes sociaux qui en découlent », explique Camille Tremblay-Fournier, l’une des fondatrices du mouvement.
Cette dernière parle d’ailleurs en toute connaissance de cause. Aux Îles-de-la-Madeleine, où elle enseignait encore tout récemment au campus du Cégep, elle a été expulsée de son lieu de résidence ... à quatre reprises. Souvent, les propriétaires préfèrent ne pas faire remplir de bail pour avoir toute la latitude voulue pour agir l’été venu. Avec un taux d’inoccupation qui frôle les 0% sur l’archipel, ils ont le gros bout du bâton.
La situation n’est guère plus reluisante à Gaspé avec un taux qui était à 0,8% en octobre 2021. L’équilibre se situe à 3%. La problématique a d’ailleurs suivi Camille Tremblay-Fournier des Îles-de-la-Madeleine jusqu’au bout de la péninsule où elle habite maintenant. Elle doit aujourd’hui se reloger en raison de la mauvaise qualité de l’air dans l’appartement qu’elle occupe avec sa conjointe.
« Sauf qu’on est incapables malgré deux salaires de professionnels. Et on n’y arrive pas pour l’achat d’une maison. C’est rendu aussi un enjeu de classe sociale qui se creuse de plus en plus », estime-t-elle. Les 4 ½ visités dans un nouveau développement se chiffraient à 1400$.
Pendant la manifestation, une mère monoparentale a aussi expliqué devoir vivre dans son automobile avec ses deux adolescentes, à des années-lumière des photos Instagram qui accompagnent le hashtag « van life ». Une autre personne à mobilité a témoigné vivre dans un HLM ... qui n’est pas adapté. « Elle est pratiquement prisonnière de son appartement, elle ne peut ni entrer ni sortir toute seule, se désole Camille Tremblay-Fournier. Et ça n’ira pas en s’améliorant avec le vieillissement de la population.
Solution à long terme
Le conseil de la MRC a adopté récemment son premier Plan d’action en matière d’habitation, qui s’échelonnera jusqu’à 2025. Un des chantiers est de construire avec l’aide du milieu pas moins de 992 nouveaux logements, dont 421 adaptés pour aînés d'ici 2026.
Du côté des promoteurs, toujours selon l’étude du CIRADD citée précédemment, le coût d’une nouvelle construction en Gaspésie serait de 20 000 $ à 25 000 $ plus élevé qu’ailleurs au Québec ... par porte. « Dans bien des cas, ce surcoût a pour effet de forcer les acteurs à se retirer s’ils considèrent que le rendement de l’investissement est trop faible ou trop tardif. », explique-t-on. Quelque chose comme la quadrature du cercle, diraient certains.
Mais le Comité Autonome pour l’Accessibilité au Logement Côte-de-Gaspé ne baisse pas les bras. Au-delà des constatations, des solutions existent, selon le regroupement, qui en propose plusieurs. Parmi celles-ci se trouvent la reconversion de bâtiments inoccupés en logements, l’instauration d’un quota pour les locations touristiques ou de courte durée, le renforcement des droits des locataires, l’augmentation des appuis gouvernementaux pour des habitations collectives et communautaires, la révision des règlements d’urbanisme, la création d’un registre des loyers, des ressources supplémentaires pour aider les nouvelles personnes qui arrivent sur le territoire et davantage de ressources spécialisées en itinérance.
« Il y a plusieurs bâtiments anciens ou à l’abandon qu’on pourrait reprendre. Mais il y a une impossibilité de mettre sur pied des projets alternatifs comme des écovillages ou des minimaisons parce que c’est non réglementé sur le territoire », précise Camille Tremblay-Fournier.
Dans son plan d’action, la MRC veut de son côté encadrer l’offre de logements en location court terme en révisant des règlements d'urbanisme de façon à restreindre les établissements d'hébergement touristique, notamment la conversion de logements existants en résidences de tourisme. La possibilité de hausser les taux de taxation des résidences secondaires situées dans des secteurs stratégiques sera aussi évaluée.
Dans tous les cas, des activités sur les droits des locataires seront organisées par le Comité Autonome pour l’Accessibilité au Logement Côte-de-Gaspé dans les prochaines semaines et aussi pour interpeller les élus. « On ne veut pas que ce soit une problématique silencieuse ou invisible. On a voulu mettre en lumière cette problématique pour sensibiliser les touristes, et on a constaté en discutant avec les autres que c’était de plus en plus présent à Gaspé. Ce ne sont plus des cas isolés », conclut Camille Tremblay-Fournier.
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