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Retour02 février 2022
Jean-Philippe Thibault - jpthibault@medialo.ca
Après 179 ans, c'est la fin de l’épopée pétrolière en Gaspésie
Projet de loi 21

©Archives - Gaspésie Nouvelles
L’histoire du pétrole en Gaspésie remonte à loin. Le premier forage de pétrole au Canada y a eu lieu en 1859.
Camp de la rivière, fracturation hydraulique, exploitation d’hydrocarbures trop près des résidences, gazoduc et barge de liquéfaction flottante; le dépôt du projet de loi 21 par le gouvernement Legault vient mettre fin à une longue suite de projets et de débats qui auront parfois divisé une partie de la population.
La démarche viendra aussi ultimement mettre un point final à un vieux rêve qui remonte aussi loin qu’au milieu du XIXe siècle. L’historien Jean-Marie Fallu rappelait il y a quelques années dans une missive envoyée à la Commission de la toponymie du Québec – à propos du changement d’appellation à Gaspé de la rue Tar Point en chemin Maher – que la première découverte d’hydrocarbures de surface en Gaspésie remontait à 1843 sur une falaise de Seal Cove, par le géologue William Logan, guidé par John Basque, un Mi’gmaq de l’endroit. « Cette découverte de Logan déclenche alors une véritable ruée vers l’or noir de Gaspé », écrivait alors l’historien et auteur, ajoutant qu’entre 1860 et 1913, pas moins de 57 compagnies pétrolières s’étaient lancées dans l’aventure pétrolière à Gaspé. Le premier forage de pétrole au Canada a d’ailleurs lieu en Gaspésie en 1859. Une compagnie anglaise creuse notamment deux puits en 1892 et 1893, toujours dans le secteur de Seal Cove, sans vraiment de résultats prometteurs. Dans son rapport de 1929, le Service des mines du gouvernement du Québec signale son intérêt pour le pétrole à Gaspé, dixit Jean-Marie Fallu.
Pas d’eldorado
Mais pendant 100 ans, c’est toujours un peu bonnet blanc, blanc bonnet. Les attentes sont très élevées, mais le rendement n’est jamais au rendez-vous. Idem dans les deux dernières décennies, alors que les promesses sont toujours aussi mirobolantes.
En 2007, le président de Junex croyait dur comme fer que la Gaspésie regorgeait d’un gisement pétrolier de classe mondiale. Dans la Baie-des-Chaleurs, des études sismiques semblaient suggérer un potentiel prometteur. « Une structure géologique comme celle-là est susceptible de contenir 500 millions de barils de pétrole », indiquait à ce moment Jean-Yves Lavoie.
Dix ans plus tard, en 2017, l’albertaine Pieridae Energy, qui vient de fusionner avec la québécoise Pétrolia, dévoile un rapport indiquant que le potentiel du projet Bourque près de Murdochville pourrait contenir un volume de pétrole initialement en place en 827 millions de barils (l’estimation basse est de 256 millions de barils, à 90% de chance).
Deux ans plus tôt, Pétrolia et Tugliq Énergie avaient annoncé que Gaspé accueillerait une barge de liquéfaction flottante; démarche au cœur de leur projet d’alimentation de la Côte-Nord et du Nord-du-Québec en gaz naturel. Le projet prévoyait des ressources gazières extraites du puits Bourque à Murdochville transportées à l’aide d’un gazoduc de 59 kilomètres et liquéfiées sur une barge flottante située près du quai de Sandy Beach. Le projet était estimé entre 500 et 600 millions de dollars et devait se traduire par la création de quelque 200 emplois, dont 50 pour les opérations de la barge et 140 sur le site lui-même. Les projets font rêver, mais tardent à se concrétiser.
Des drapeaux rouges
Et pendant tout ce temps, plusieurs sceptiques et plusieurs débats houleux. Dès juin 2011, lorsque Pétrolia annonce la possibilité de fracturation hydraulique – un procédé d’exploitation controversé qui avait été interdit le mois précédent en France pour les gaz de schiste – des inquiétudes sont soulevées par des citoyens. Des affiches « Non à la fracturation hydraulique » et « Oui au pétrole » feront bientôt leur apparition à Gaspé.
Autre écueil en 2015 lorsque le forage Haldimand 4 est effectué à tout juste 350 mètres des résidences les plus proches. De 2017 à 2018, des écologistes érigent le Camp de la Rivière près du puits Galt 4, à une vingtaine de kilomètres de Murdochville, en opposition à l’exploitation des hydrocarbures. À ce moment, les opinions sont partagées entre l’apport économique inhérent à l’exploitation du sous-sol gaspésien et les répercussions environnementales. Un sondage mené auprès de 400 personnes montre que la majorité de l'échantillon se dit opposée au projet d'exploitation à Haldimand (49,3%), alors que les autres se disent favorables, que ce soit avec ou sans fracturation hydraulique (46,7%). L'acceptabilité est plus grande pour le projet Bourque. Ce sont 70,2% des sondés qui sont favorables, à condition que le promoteur n’utilise pas la fracturation hydraulique pour exploiter le gisement.
En début d’année 2019, alors que l’opinion publique était encore divisée sur la question, la députée Méganne Perry Mélançon a été l’une des premières à s’opposer catégoriquement à l’exploitation des hydrocarbures au Québec en général et dans son comté en particulier, évoquant que l’acceptabilité sociale n’était pas au rendez-vous. Aujourd’hui, Méganne Perry Mélançon peut sabrer le champagne. « En 2019, je n’aurais jamais pu penser qu’on arriverait à ce jour où un projet de loi serait déposé pour mettre fin à la filière des hydrocarbures au Québec [...] C’est une victoire importante pour moi dans mon engagement politique; un travail d’équipe qui aura amené des résultats concrets. C’est pour ça qu’on fait de la politique », s’est-elle réjouie sur les réseaux sociaux. Visiblement, la page se tourne sur l'épopée pétrolière en Gaspésie, 163 ans après le premier forage et 179 ans après la découverte des premiers hydrocarbures de surface.
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