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20 février 2024

Jean-Philippe Thibault - jpthibault@medialo.ca

Les crevettiers de trois provinces dans la rue pour manifester

GRANDE-RIVIÈRE

Manifestation

©Jean-Philippe Thibault - Gaspésie Nouvelles

Une centaine de manifestants ont investi les rues de Grande-Rivière cet avant-midi.

Des crevettiers du Québec, du Nouveau-Brunswick et même de Terre-Neuve-et-Labrador ont convergé mardi avant-midi vers les bureaux de la ministre des Pêches Diane Lebouthillier à Grande-Rivière pour lui signifier d’une voix commune leur mécontentement et leur colère face aux récents quotas alloués pour le sébaste et le retour annoncé des bateaux-usines dans le golfe du Saint-Laurent.

Plusieurs pêcheurs estiment que le retour des bateaux-usines dans le golfe du Saint-Laurent signent leur arrêt de mort. Différentes associations de pêcheurs d’un peu partout sur le territoire ont aussi exprimé leur désarroi. Jean Lanteigne, directeur général de la Fédération régionale acadienne des pêcheurs professionnels, basée à Shippagan, en avait la gorge nouée.

« Honnêtement, je n’aurais jamais cru qu’une ministre des Pêches d’une communauté comme ici nous ferait un coup de cochon de même, a-t-il lancé avec un tremolo dans la voix. Ce n’est pas vrai qu’on va lâcher le morceau. De voir des bateaux chez nous à vendre, ça m’arrache le cœur. Je ne peux pas m’imaginer qu’on va finir de même…  »

Idem de l’autre côté du fleuve. « Nous ne pouvons qu’être indignés à l’égard du partage du sébaste, note Julie Mauger, directrice générale de l’Association des pêcheurs de la Basse-Côte Nord. Notre gouvernement démontre une fois de plus qu’il laisse des miettes pour les Premières Nations et les crevettiers; pratiquement rien pour la Basse-Côte-Nord […] Ce sont les pêcheurs propriétaires avec les bottes sur le pont du bateau qui ont une relation directe avec la ressource tels que les crevettiers qui devraient avoir la part du lion et non les grandes corporations qui ont déjà surpêché notre golfe. »

Voix unanime

 

La ministre des Pêches et des Océans, Diane Lebouthillier, a annoncé le 26 janvier dernier à Rivière-au-Renard la fin du moratoire du sébaste dans l’Unité 1, avec un quota plancher de 25 000 tonnes, qui pourrait être appelé à augmenter selon les recommandations d’un comité consultatif. Les navires de plus de 100 pieds se sont vu octroyer une allocation de 59%, contre 10% pour les crevettiers et un autre 10% pour les communautés autochtones.

La répartition ne fait pas davantage d’heureux aux Îles-de-la-Madeleine qu’en Gaspésie ou au Nouveau-Brunswick. Pour Jean-Bernard Bourgeois, le président de l’Association des pêcheurs de sébaste des Îles, la décision du 26 janvier dernier ne respecte pas les demandes des majorités des communautés.

« Elle met en péril la survie de ces communautés côtières. Ça encourage les permis hauturiers qui sont majoritairement la propriété de corporations. Ils mettent une pression énorme sur les autres espèces, notamment le flétan […] Votre répartition ne laisse pas à mes membres un accès assez gros pour s’équiper dans cette pêcherie. » Un chalut pour se convertir à la pêche au sébaste peut coûter au bas mot 60 000$.

Jean Lanteigne

©Jean-Philippe Thibault

Jean Lanteigne, directeur général de la Fédération régionale acadienne des pêcheurs professionnels.

Plus localement, pour Claudio Bernatchez, le directeur général de l’Association des capitaines propriétaires de la Gaspésie, l’enjeu est imminemment politique. « Je m’adresse à l’ensemble du caucus libéral. On demeure profondément convaincus que ce n’est pas la ministre Lebouthillier qui a pris seule ces décisions, lance-t-il d’emblée. Prenez des décisions dans l’intérêt de l’ensemble des citoyens du golfe et non pas dans l’intérêt du Parti libéral du Canada. »

O’Neil Cloutier, directeur général du Regroupement des pêcheurs professionnels du Sud de la Gaspésie, a d’ailleurs rappelé comme d’autres intervenants que l’interdiction des bateaux de plus de 100 pieds dans le golfe du Saint-Laurent remonte à 1977 sous le règne d’un autre libéral, Roméo Leblanc (le père de Dominic Leblanc, l’actuel ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales qui a jadis été ministre des Pêches). O’Neil Cloutier se dit profondément déçu de la décision libérale.

« Nous devons vous exprimer notre désaccord total sur le retour des bateaux-usines. Cette interdiction de pêche avait été appliquée par votre illustre prédécesseur Roméo Leblanc en 1977 afin de sauver le golfe de cette pêche sauvage et débridée qui dans les faits permettait seulement aux grands armateurs de ces monstres flottants de tirer profit de la ressource halieutique. Comment pourrions-nous accepter que ces bateaux puissent de nouveau puiser dans nos ressources naturelles pour les transformer à bord et les acheminer sur le marché mondial avec la complicité de quelques industriels situés à l’embouchure du golfe alors que des milliers de nos travailleurs sont sans emploi à l’aube d’une saison qui s’annonce dramatique? »

Irvin Jones, pêcheur de Grande-Rivière depuis les 49 dernières années est également suspicieux. Ce dernier a connu l’époque des bateaux-usines dans les années 1980. Il pêche aujourd’hui le crabe des neiges, le turbot et le flétan. 

« C’est encore une décision qui vient pour nuire à ceux qui sont en place. Avec ce qui s’en vient, on aura pu rien à pêcher. Ils nous ramènent 30 ans en arrière. Avec des bateaux de 125 ou 135 pieds et leurs prises accidentelles, à coté nous autres les petits palangriers y reste pas grand-chose. C’est trop gros pour être icitte. Le turbot ça allait mal, mais quand ils ont décollé [les bateaux-usines], ç’a commencé à être mieux. Ma peur c’est que dans le flétan ça va ben, qu’on a une belle ressource, mais qu’on perde ça. »

Manif

©Jean-Philippe Thibault

Plusieurs manifestants estiment que l'enjeu est imminemment politique.

Jusqu’à Terre-Neuve

 

Des gens de Terre-Neuve-et-Labrador ont aussi tenu à livrer leur message en prenant l’avion vers Moncton et faisant la route jusqu’en Gaspésie. C’est notamment le cas de Jason Spingle, de la Fish, Food & Allied Workers Union, qui représente environ 50% des pêcheurs côtiers de sa province.

« On est ici aujourd’hui pour soutenir nos alliés du Québec et du Nouveau-Brunswick et démontrer notre mécontentement envers cette terrible décision d’allouer la majorité du sébaste aux pêcheurs hauturiers. On a la possibilité de faire une transition. Ils ont l’expertise et ils sont prêts. On ne peut pas accepter que c’est juste la fin. On veut un vrai plan. » Ce dernier suggère notamment que si le plancher de 25 000 tonnes de sébaste est augmenté, les prochaines 30 000 ou 40 000 tonnes soient allouées directement aux crevettiers pour assurer leur survie.

Claudio Bernatchez résume la situation en demandant qu’il y ait une approche globale, réfléchie et écosystémique dans toutes les annonces qui vont être faites pour qu’il y ait une forme de pérennité de la pêche.

« Si on ne réussit pas à trouver des façons de prioriser les pêcheurs propriétaires exploitants dans l’attribution de tout le quota, on n’aura pas de retombées économiques dans nos communautés côtières : des gens qui travaillent en usine, dans l’entretien des bateaux, pour fournir les équipements, les vêtements, nourrir tous ces gens-là. Si tu as un grand bateau qui arrive de Nouvelle-Écosse ou peu importe, il n’achètera rien à Rivière-au-Renard ou à Grande-Rivière. Est-ce qu’on veut réellement concentrer toute la ressource dans les mains de quelques personnes?

On a donné près de 60% d’une ressource à un petit groupe d’entreprises qui n’auront aucune retombée dans nos communautés. Ce ne sont pas eux qu’on va aller voir pour organiser un tournoi de hockey ou financer une activité scolaire. Ce ne sont pas les Mersey Seafoods, Ocean Choice International ou Atlantic Groundfish Council qui vont sortir le chéquier. Ce n’est pas l’histoire d’une flottille qui se traite aujourd’hui. C’est l’histoire d’une industrie qui risque d’être mise à mal par le retour des bateaux-usines. Ça ne peut pas arriver. C’est incompréhensible avec tous les repères qu’ils ont pour prendre des décisions. Il y a une grogne générale qui s’est installée d’un bout à l’autre du golfe du Saint-Laurent. C’est une inquiétude généralisée, tout le monde s’entend. Si ce plan est mis à exécution, ça va signifier des grands moments de détresse. On espère qu’ils vont se réveiller avant longtemps et corriger le tir. »

Rappelons que de son côté, la députée et ministre Diane Lebouthillier avait tenu à remettre les pendules à l’heure récemment en rappelant que la part pour les navires de 100 pieds et plus a fondu de 74% en 1994 à 59% aujourd’hui. « La décision annoncée la semaine dernière offre encore plus d’opportunités aux plus petits joueurs qui voient leur rapport de force considérablement augmenté depuis le moratoire. Tenter de prétendre l’inverse est faux […] Peu importe la taille du bateau, si ce bateau emploie des gens de chez nous, offre des opportunités au monde chez nous, ça crée des emplois chez nous, fait rouler l’économie et bénéficie à l’ensemble de nos communautés côtières. »

L’argument n’a cependant pas convaincu O’Neil Cloutier. « La durabilité dans l’exploitation des ressources halieutiques, ce n’est pas nécessairement de respecter les parts historiques des uns et des autres, mais de s’assurer que la pêche sera effectuée dans le respect et la protection de l’habitat et de l’environnement marin. »

Diane Lebouthillier a pour sa part déjà dit ne pas vouloir répéter les erreurs du passé. « Ce n’est pas vrai qu’on va vider le fond de la mer en 2024. Je vous le dis, il faudra me passer sur le corps avant de voir ça de votre vivant. Over my dead body. […] Je sais que ce n’est pas facile actuellement, mais collectivement on a tous un rôle à jouer pour éviter d’envenimer inutilement la situation actuelle à coup d’envolées verbales et de suppositions. » L’idée d’un rachat de permis de quota pour les crevettiers a par ailleurs été écartée.

Commentaires

22 février 2024

gagnon.roger@gmail.com

Vider les villages côtiers? Vous avez déjà oublié pourquoi? Un GROS examen de conscience serait profitable à tout le Québec dans nombre de dossiers. La mémoire est la FACULTÉ qui oublie et nous la pratiquons assez facilement. Et ne pas oublier les villages vivant des scieries, etc.. Les grosses usines de pâtes ont vite fait de les vider

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